Du 25 au 27 juin 2025, plus de 500 personnes — artistes, militant·es, exilé·es et allié·es — se sont rassemblées à Paris pour la première édition du Queer Festival Russe. Organisé par l’Espace Libertés I Reforum Space Paris, Russie-Libertés et le Centre T, avec le soutien de la Mairie du 11ᵉ arrondissement, de l’Hôtel de Ville de Paris et d’Inter-LGBT, l’événement a proposé trois jours de performances, expositions, projections et discussions autour des réalités LGBTQIA+ en Russie, en exil et dans d’autres contextes autoritaires. Plus de 120 œuvres d’art ont été présentées sous le signe de la résistance, et quatre tables rondes ont permis d’approfondir les enjeux contemporains du militantisme queer, tout en créant un espace d’échange et de solidarité transnationale.
25 Juin – Ouverture et situation actuelle en Russie.
Le 25 juin, le festival s’est ouvert avec Coming In / Coming Out, une performance poignante de la drag-queen Lola Camomilla, qui a incarné, sur le parvis de la Mairie du 11ᵉ, les blessures identitaires des personnes queer russes en exil. Entre cri politique et vulnérabilité intime, cette œuvre a posé le ton du festival : une exploration des fractures entre répression en Russie et exil en Europe.


La cérémonie d’ouverture s’est poursuivie avec des prises de parole engagées des organisateur·ices, rappelant que « nos droits ne sont jamais définitivement acquis » et soulignant l’urgence de créer des espaces de mémoire et de résistance. François Vauglin, maire du 11ᵉ arrondissement, a exprimé son soutien aux personnes persécutées et réaffirmé l’engagement de Paris en faveur d’un accueil digne.

Table ronde d’ouverture – Que signifie vivre en Russie en 2025 ?
La première discussion du Queer Festival Russe a réuni Evi Chayka (EQUAL PostOst), Darya Yakovleva (Feminitive) et Georgy Kalakutskii (Vykhod) autour d’un état des lieux alarmant de la situation LGBTQIA+ et féministe en Russie.
Depuis 2013, la répression s’intensifie : lois anti-LGBT+, interdiction du changement de genre, criminalisation des mouvements queer. La désignation du « mouvement LGBT international » comme entité extrémiste a entraîné des poursuites judiciaires, des censures, et des formes d’exclusion extrême. Mais face à cette violence, les acteur·ices continuent à agir : consultations en ligne, documentation des violations, réseaux de solidarité.
Les intervenant·es ont souligné l’importance de maintenir des liens entre les personnes restées en Russie et celles exilées, malgré les difficultés. Créer des espaces d’écoute, de coopération et de résistance reste possible.


Présentation du projet “Sous interdiction” – Centre T
Le Centre T, partenaire et coorganisateur du festival, a présenté Sous interdiction, une brochure rassemblant des témoignages de personnes trans en Russie. Le projet met en lumière l’impact direct de l’interdiction du parcours de transition : impossibilité d’accéder aux soins, précarité, discriminations systémiques.
Certain·es vivent en stealth avec la peur constante d’être outé·es ; d’autres subissent des refus de soins, de travail, ou même de services essentiels. L’exclusion s’intensifie, mais des formes de soutien existent : entraide locale, figures trans visibles, shelters. Le Centre T rappelle qu’un petit geste de solidarité peut déjà sauver des vies.

26 juin – Résistances en Russie et ailleurs.
La deuxième journée du festival a exploré les résistances queer en Russie et dans d’autres régimes autoritaires. Animée par Pasha Andreev (Quarteera), la discussion a réuni Masha Latsinskaya (LesbiySkoye Lobby), David (Centre T) et Vika Privalova (FAS).

Dès le début, une question posée au public, « Qui a déjà renoncé à s’exprimer ouvertement en tant que personne queer ? », a illustré l’ampleur de l’autocensure. Pour Masha, la solidarité entre pairs est la première forme de résistance. Vika a rappelé que « parfois, résister, c’est juste survivre ». David a parlé de la création de structures parallèles en exil.
Les intervenant·es ont aussi souligné l’importance de la sécurité numérique, de la circulation des savoirs et de la solidarité transnationale. Enfin, ils ont appelé à des gestes simples mais essentiels : s’abonner, donner, relayer, parler.
La journée s’est poursuivie avec un atelier de Sasha Kazantceva, éducatrice LGBTQ+ et activiste médiatique basée en Lituanie, et une performance de Boginia.

Performance immersive Fils d’identité par Boginya
Présentée lors de la deuxième journée du festival, la performance immersive de Boginya, Fils d’identité, a marqué les esprits. Munis d’écouteurs, les spectateur·ices suivaient l’artiste dans un parcours intime, guidé·es par une voix douce qui livrait un récit à la fois personnel et politique.
Par son langage corporel précis et une présence intense, Boginya a incarné les réalités de l’effacement, du contrôle, mais aussi la force de la dignité queer. Ce moment a suspendu le temps. Le silence du public, les regards figés, les larmes de certain·es : tout témoignait de l’impact profond de cette œuvre, qui restera comme un geste artistique et politique d’une rare intensité.

Table ronde internationale : résistances LGBTQIA+ en Iran, en Turquie et dans la communauté ouïghoure
Cette table ronde a ouvert un espace rare de dialogue entre militant·es LGBTQIA+ confronté·es à des régimes autoritaires. Les intervenant·es ont partagé des réalités marquées par la violence d’État, la censure et l’invisibilisation.
En Iran, les femmes trans et queer font face à des violences systémiques : contrôle social, agressions sexuelles, réassignations médicales forcées. En Turquie, la répression s’intensifie avec une propagande d’État ciblant les identités non conformes. Quant aux personnes LGBTQIA+ ouïghoures, leur existence même est niée : les données manquent, la répression est totale, et le risque d’outing dans les camps de « rééducation » est vital.
Malgré tout, les intervenant·es ont souligné le rôle crucial de la solidarité internationale et des réseaux transfrontaliers pour faire circuler les récits, documenter les violences et bâtir des résistances collectives.

Clôture musicale festive
La deuxième journée du festival s’est terminée par un concert festif réunissant quatre artistes queer aux univers puissants. Igor Levchenko, musicien ukrainien et ex-prisonnier politique, a bouleversé le public avec ses ballades indie-pop marquées par l’exil. HRISTÏN a livré un set électro-pop poétique sur le désir et l’amour queer. Kamilla Crazy White a enflammé la scène avec une performance drag satirique et glamour, avant que Miss Tizzy ne clôture la soirée dans une ambiance radicale mêlant horreur et burlesque.




27 juin – Exil et reconstruction : une clôture engagée à l’Hôtel de Ville.
La dernière journée du Queer Festival Russe s’est déroulée à l’Auditorium de l’Hôtel de Ville de Paris, consacrée aux récits d’exil, de reconstruction et de solidarité.
La matinée a débuté avec une sélection de courts-métrages, dont celui de Lüba, artiste et activiste, qui a présenté un film autobiographique émouvant. À travers une narration intime, elle y évoque la vulnérabilité queer, la peur, mais aussi la douceur, la solidarité invisible et la force de l’amour dans le contexte de l’exil.

Un moment fort de la journée : la prise de parole de Mikhail Lobanov, figure de l’opposition de gauche russe, universitaire et militant. Sa solidarité avec les activistes queer, qu’ils soient en Russie ou en exil, a été saluée avec émotion.
Table ronde: “La vie en exil.”
La table ronde forte et incarnée. Animée par Olga Kokorina (Russie-Libertés / Espace Libertés), la discussion a réuni Polya, artiste queer et décoloniale d’origine bouriate et tchouvache installée en Pologne, Sasha Kazantceva, éducatrice LGBTQ+ et activiste, et Anatoly Fedorov, chimiste exilé accueilli en France.
Les intervenant·es ont partagé leurs expériences de la migration forcée : perte de repères, reconstruction, accès aux droits, recherche de sécurité. Pour Polya, l’exil est aussi une déconnexion violente d’un territoire colonisé, qui oblige à repenser l’identité et la transmission. Sasha a parlé des réseaux de solidarité queer à distance, comme formes de soin. Anatoly a évoqué les difficultés à se reconstruire dans des institutions où les réalités LGBTQIA+ sont souvent invisibilisées.
Tous·tes ont insisté sur la nécessité de préserver un espace intérieur à soi, de se soutenir mutuellement, et de transmettre aux générations futures les récits de résistance.
La discussion a été suivie d’une séquence de prises de parole officielles, introduite par un message vidéo de Jean-Luc Romero-Michel, adjoint à la Maire de Paris, envoyé depuis Budapest. Jean-Marc Berthon, Ambassadeur pour les droits LGBTQIA+, a rappelé l’engagement de la France en faveur des personnes persécutées. Benoît Cascade, directeur de la Fondation Le Refuge, a souligné l’importance d’un accueil spécifique pour les personnes LGBTQ+ exilées. Jérôme Gleizes, élu parisien écologiste, a conclu par un message politique fort, réaffirmant l’importance d’un engagement à long terme pour l’égalité.
Soutien à l’exil queer : quatre initiatives engagées
Lors de la clôture du festival, quatre initiatives ont présenté leur soutien aux personnes LGBTQIA+ exilées, notamment venues de Russie.

Matvei (CaVa) accompagne les exilé·es russophones en France dans leurs démarches administratives et sociales, créant un lien de confiance essentiel; Yan Dvorkin (Centre T) a expliqué que, contraint à la fermeture en Russie, le centre a ouvert un refuge en Arménie pour les personnes trans en danger et organise des évacuations d’urgence; Evi Chaika (EQUAL PostOst) finance jusqu’à deux semaines de logement d’urgence pour les demandeur·euses d’asile LGBTQIA+ en Europe, un délai crucial avant la prise en charge par les dispositifs publics; Olga Kokorina (Russie-Libertés / Espace Libertés) a présenté un centre à Paris offrant accompagnement juridique, psychologique, cours de français et espaces pour artistes exilé·es.
Queendom
La projection du documentaire Queendom d’Agnia Galdanova, sur la performeuse queer Gena Marvin, a clôturé le festival. Ce portrait intime et radical suit le parcours de Gena, qui fait de son corps et de l’espace public un manifeste vivant. À la fin du film, Gena Marvin est apparue dans la salle, accueillie par une standing ovation, offrant un moment de rencontre puissant entre artiste, œuvre et public.
La soirée s’est terminée autour d’un buffet partagé, avec des échanges chaleureux et la signature collective de l’affiche du festival, symbole de trois jours d’intensité, de lutte et d’espoir.
Le Queer Festival Russe à Paris 2025 n’aurait pas été possible sans l’engagement et le soutien précieux de nos partenaires institutionnels et associatifs. Nous remercions chaleureusement la Ville de Paris, l’Ambassadeur aux droits LGBTQIA+, la Fondation Le Refuge, ainsi qu’Inter-LGBT, dont l’appui a été essentiel pour faire de cet événement un espace de dialogue, de création et de solidarité.
Nous exprimons également notre profonde gratitude aux artistes, activistes, bénévoles et participant·es qui ont rendu ce festival vivant, puissant et porteur d’espoir.
Alors que nous tournons la page de cette première édition, nous restons déterminé·es à poursuivre ce travail de résistance et de visibilité, en construisant ensemble des ponts entre les communautés queer exilées et celles qui les soutiennent en France et ailleurs.
Rendez-vous l’année prochaine pour continuer à faire vivre ces voix dissidentes, leurs luttes et leurs rêves !



Une référence à Descartes, affirmant que penser autrement, c’est exister












