Le 22 septembre 2025, lors d’une réunion du Conseil des droits de l’homme à Genève, la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des droits de l’homme en Russie, Mariana Katsarova, a présenté un nouveau rapport glaçant. Le rapport constate une dynamique inquiétante : si, dans les premières années de la guerre, on parlait de « serrage de vis», les répressions sont désormais devenues un système établi de violence politique, intégré au modèle même du pouvoir.
“Depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, les autorités russes ont intensifié le recours à des poursuites pénales, à des peines de prison de longue durée, à l’intimidation, à la torture et aux mauvais traitements pour réduire au silence l’opposition à la guerre,” écrit Mariana Katsarova.
Nous publions ici quelques extraits de ce rapport essentiel pour comprendre l’ampleur des répressions en Russie. Le rapport est à télécharger dans son intégralité sur le site du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme : télécharger.
Agents étrangers
1 040 personnes et organisations désignées « agents étrangers ». Depuis janvier 2025, 133 nouveaux acteurs de la société civile ont reçu ce statut injuste.
Désormais, les « agents étrangers » sont obligés d’ouvrir des comptes bancaires spéciaux : tous les flux financiers y sont bloqués tant que la personne ou l’organisation n’a pas été retirée du registre. Le pouvoir obtient ainsi un contrôle total sur les ressources financières et la possibilité de paralyser l’activité.
Organisations indésirables
245 ONG classées « organisations indésirables » (dont Russie-Libertés). Le statut « indésirable » rend impossible toute activité sur le territoire russe, et toute collaboration avec ces organisations est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 6 ans d’emprisonnement.
Journalistes et médias
Depuis 2022, les autorités ont inscrit 247 journalistes et médias sur la liste des « agents étrangers ». 195 médias sont désignés comme « indésirables ». Des journalistes sont condamnés pour «fake news», pour le simple exercice de leur métier, avec des peines extrêmmement lourdes :
- Sergey Mikhailov : 8 ans de prison
- Antonina Favorskaya : 5,5 ans de prison
- Olga Komleva : 12 ans de prison
Ces condamnations sont devenues un symbole de la pression exercée sur la presse indépendante en Russie.
Censure numérique
En 2025, plus de 1,2 million de ressources Internet ont été bloquées en Russie. Cette offensive massive contre la liberté numérique détruit pratiquement l’espace Internet indépendant à l’intérieur du pays.
Prisonniers politiques
Actuellement, 3 850 personnes sont poursuivies pénalement en Russie pour des raisons politiques. Plus de 3000 se trouvent en détention. 60 nouvelles affaires par mois en moyenne sont ouvertes contre des femmes, hommes et enfants ordinaires opposés à la guerre et au régime poutinien. Les prisonniers politiques représentent entre 20 à 30% de toutes les personnes détenues en détention provisoire, ce qui illustre l’ampleur de l’utilisation du système pénal pour réprimer la dissidence.
Torture
Entre 2024 et 2025, au moins 258 cas de torture ont été documentés. Mais seulement 10 auteurs de torture ont été condamnés avec sursis. Cela démontre l’impunité quasi totale des forces de l’ordre.
La torture est massivement infligée aux détenus ukrainiens. La prison SIZO-2 de Taganrog est l’un des centres de détention les plus violents : famine, passages à tabac, quasi-noyades, décharges électriques (y compris sur les parties génitales), humiliations sexualisées, viols.
“Terrorisme et extrémisme”
Les autorités russes détournent les accusations de « terrorisme » pour criminaliser tout soutien à l’Ukraine. En juin 2025, Nadin Gueisler, qui fournissait de l’aide humanitaire à des civils ukrainiens, a été condamnée à 22 ans de prison pour « trahison » et « terrorisme ».
Le ciblage des enfants pour « terrorisme » et « extrémisme » reste profondément alarmant. Plus de 150 mineurs âgés de 14 à 17 ans ont été inscrits sur la liste des « extrémistes » et « terroristes ». Des cas ont également été signalés où des enfants ont été accusés de « trahison » et soumis à la torture pour obtenir des aveux.
Armé et Mobilisation
Depuis le début de l’invasion à grande échelle, la Russie utilise activement les prisonniers comme « ressource » pour le front. Désormais la loi permet d’annuler les peines des condamnés s’ils s’engagent dans l’armée. Environ 200 000 détenus ont été enrôlés et la police est payée pour chaque engagement.
En juillet 2025, 80 prisons sur 900 ont été fermées — le système pénitentiaire est littéralement vidé en raison du recrutement massif.
Le ministère de la Défense recrute intensivement des étrangers, dont des victimes de trafic humain en provenance du Népal et du Sri Lanka, en les forçant sous la torture et les menaces à signer des contrats militaires. 80 000 nouveaux détenteurs de la nationalité russe, principalement originaires d’Asie centrale, ont également été obligés de s’enrôler.
Des conscrits russes sont contraints, par la torture et la tromperie, à signer des contrats les envoyant au front. Dans au moins un cas, une personne a été abattue pour avoir refusé de signer.
La Croix-Rouge a enregistré 110 000 cas de soldats russes portés disparus, et plus de 50 000 cas de désertion ont été signalés depuis le début de la guerre à grande échelle. La désertion est devenue l’une des principales voies pour celles et ceux qui cherchent à éviter de participer à la guerre.
Groupes vulnérables
L’expansion de l’idéologie nationaliste soutenue par l’État a banalisé les discriminations et les violences fondées sur l’identité, notamment à l’encontre des femmes et des filles, des personnes LGBT+, des peuples autochtones, des minorités ethniques et des migrant·e·s.
Depuis 2022, le nombre de cas de violences domestiques impliquant des militaires a presque doublé. Des violeurs et meurtriers, revenus du front, tuent leurs épouses, violent des enfants. Selon des enquêtes journalistiques, des vétérans de guerre en Russie ont commis des crimes contre des civils, entraînant plus de 750 morts ou blessés.
En 2025, les autorités ont adopté une nouvelle loi contre la « propagande childfree », interdisant toute discussion en publique sur la contraception et l’avortement.
Depuis la qualification du « mouvement LGBT international » comme « extrémiste », la répression étatique s’est intensifiée :
- Fermeture d’organisations et initiatives LGBT
- Descentes contre des lieux fréquentés par des personnes queer, entraînant des arrestations et des convocations pour la mobilisation militaire
- 221 affaires ont été ouvertes pour « propagande LGBT », y compris pour l’affichage de symboles comme le drapeau arc-en-ciel
Les répressions en Russie ne sont pas de simples abus, mais constituent une politique d’État délibérée. Les autorités ignorent volontairement les obligations internationales en matière de droits humains. Le niveau de contrôle idéologique est désormais comparable à celui de la fin de l’ère soviétique, mais les méthodes sont beaucoup plus sévères.
Le rapport souligne que la répression traverse aujourd’hui toutes les sphères de la vie en Russie. Dans le domaine culturel, les réalisatrices Evgenia Berkovich et Svetlana Petriichuk ont été condamnées à de réelles peines de prison pour « terrorisme » en lien avec des productions théâtrales.
Dans le domaine éducatif, les livres de Svetlana Alexievitch ont été retirés du programme scolaire et le Musée de l’histoire du Goulag a été fermé, tandis que la pression s’intensifie sur les enseignants et étudiants : ainsi, l’enseignante Natalia Taranushenko a été condamnée à 7 ans de prison pour avoir évoqué devant ses élèves les massacres de Boutcha.
Un chapitre distinct du rapport décrit le climat psychologique où la peur, l’autocensure et l’épuisement deviennent une composante quotidienne. En Tchétchénie, on observe un climat de peur profondément enraciné, marqué par la torture et les exécutions extrajudiciaires.
Enfin, le rapport met en lumière le rôle essentiel de la société civile en exil : même hors de Russie, les activistes poursuivent leur travail, maintiennent le lien avec la population et résistent à l’isolement. En 2025, six organisations créées par des Russes à l’étranger ont été déclarées « indésirables », y compris l’Institut Andreï Sakharov et le mouvement « Paix. Progrès. Droits humains » en France. Des défenseurs des droits humains, tels que Sergey Lukashevsky (ancien directeur du Centre Sakharov) et Sergey Davidis, ont été condamnés par contumace pour avoir poursuivi leur activité depuis l’étranger.
Ce rapport constitue un outil de pression internationale essentiel : il documente les violations et offre aux victimes ainsi qu’à la société russe une reconnaissance — le monde voit ce qui se passe.
L’ONU a reconnu l’évidence : en Russie, une véritable machine d’État de répression a été mise en place. Pourtant, le rapport rappelle avec force que la société civile est vivante et qu’elle doit être soutenue.
Chaque publication, chaque action, chaque diffusion de la vérité devient alors un acte de résistance.
Source photo : AFP