Une nouvelle mobilisation au sein de la société russe contre la politique de Poutine.
09.12.2023

La mobilisation partielle de réservistes annoncée par Poutine le 21 septembre 2022 pour augmenter les effectifs de l’armée russe nécessaires pour poursuivre sa guerre criminelle a provoqué des manifestations dans plusieurs grandes villes de Russie. Pendant les quatre premiers jours presque 2 000 personnes ont été arrêtées pour les protestations contre la mobilisation. Le régime poutinien a dû réagir face à cette menace du mécontentement grandissant au sein de la population en renforçant la répression et en durcissant la loi sur la mobilisation (source Mediazona). Selon la politologue russe Ekaterina Schulmann, l’effet produit par la mobilisation annoncée au sein de la société a effrayé le régime qui n’est pas habitué à de telles réactions des citoyens au sujet de ses décisions politiques (source Verstka).

Le 28 octobre 2022, Sergueï Choïgou, ministre russe de la Défense, a rapporté que « le but de la mobilisation a été atteint : 300 000 réservistes ont été mobilisés ». Cependant, un décret arrêtant la mobilisation n’a jamais vu le jour. Elle continue donc toujours de manière voilée, car Poutine ne peut pas se permettre d’annoncer la deuxième vague officielle de la mobilisation avant « l’acte d’usurpation du pouvoir » prévu le 17 mars 2024 en Russie.

Ni les promesses des salaires exorbitants, ni le statut des « héros » n’ont séduit les réservistes, ce qui a provoqué l’adoption des lois draconiennes stipulant l’emprisonnement pour le refus de participer à la guerre et l’enrôlement forcé dans l’armée, parfois avec des enlèvements de personnes par les autorités russes.

Les femmes des mobilisés, parmi lesquelles se trouvaient des personnes habituellement loyales au régime poutinien ou tout simplement apolitiques, se sont exprimées face aux contradictions entre le discours officiel de la propagande traitant leurs maris de « héros défendant la Patrie » et l’état réel des choses : les mobilisés, arrachés à la vie normale et bloqués sur le front sans aucune possibilité de démissionner, sont des boucs émissaires de la guerre criminelle de Poutine.

Ainsi, depuis novembre 2022, ces femmes ont commencé à s’organiser. Au départ, elles se sont mises à demander d’arrêter d’envoyer leurs maris au front comme « chair à canon ». Ensuite elles ont abordé le sujet de la rotation, car les mobilisés étaient retenus sur le front depuis plus d’un an.

Leur rhétorique change après la déclaration officielle du vice-chef de l’état-major général des forces armées russe Andreï Kartopolov qui a explicitement dit le 15 septembre 2023 que « les mobilisés ne rentreront chez eux qu’après la fin de l’opération militaire spéciale » (source Lenta). Les femmes des mobilisés exigent donc le retour inconditionnel des mobilisés à la maison. Elles attaquent personnellement Poutine, l’accusent de mensonges et d’indifférence (source Путь домой – mouvement des femmes en colère).

Slogan que les femmes des mobilisés mettent sur leurs voitures : « Rendez-moi mon mari, j’en ai marre!» (source Novaya Gazeta).

Citation de leur lettre ouverte critiquant Poutine : « Il ne nous reste presque plus d’espoir. On a déjà perdu confiance. Certains n’ont plus d’avenir » (source Путь домой).

Extraits de l’appel au président publié le 7 décembre 2023 (source Путь домой):

« Nous exigeons la démobilisation totale. Les civils ne doivent pas participer aux actions militaires. […] Nous sommes contre l’idée reçue que tous les mobilisés participent à la guerre par leur volonté consciente. La mobilisation est imposée avec coercition et son refus engendre une poursuite pénale ».

« Nous sommes contre l’esclavage légalisé. […] Nous sommes contre la négligence de notre problème de la part du gouvernement de notre pays, de son silence ».

« Nous sommes contre la déshumanisation. Les orques et les elfes n’existent pas mais la propagande et l’incitation à la haine sont bien réelles. Il y a la politique mais il y a aussi les gens ordinaires qui sont dans les mains des hommes politiques ».

« Cela nous est égal, qui nous rendra nos hommes. Nous exigeons de commencer le retrait des mobilisés – nos maris, nos frères, nos fils, nos pères, tous nos hommes proches – de la zone de l’opération spéciale militaire pour les rendre à leurs familles. […] Nous ferons tout pour ramener nos hommes à la maison ».

Le régime essaie de neutraliser ces femmes en interdisant leurs manifestations, en organisant des attaques des bots sur leurs tchats, en les présentant comme des complices d’un « ennemi extérieur » et en s’appropriant leurs structures – des fausses associations de femmes des mobilisés remplacées par des fonctionnaires loyaux ont été créées. Elles sont convoquées par la police pour des slogans sur leurs voitures et humiliées par la propagande.

Selon Ekaterina Schulmann, jusque-là Poutine avait instauré une sorte de « pacte social » avec la population russe qui supposait que le pouvoir ne s’immisçait pas dans la vie des citoyens tant que ceux-ci restaient apolitiques et inactifs dans leurs actions citoyennes (source Rabkor). Cependant, en  déclenchant la guerre, Poutine exige des sacrifices tangibles des Russes et fait entrer la mort dans les foyers. Le pacte tacite est ainsi rompu, ce qui provoque des réactions de certains citoyens russes que le régime a du mal à prévoir et n’a pas l’habitude de gérer. 

Nous exigeons le retrait total et immédiat des troupes militaires russes de l’Ukraine et le retour de tous les territoires annexés ou occupés par la Russie!

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