Tribune publié dans Le Monde le 15 mars 2022 dont les premiers signataires sont Boris Akounine, écrivain ; Sergei Guriev, professeur en économie, Sciences Po Paris ; Nicolai Kobliakov, président de l’association Russie Libertés ; Sergey Kuznetsov, écrivain ; Kirill Pissarev, commissaire d’exposition et membre du Mouvement russe antiguerre ; Tania Rakhmanova, réalisatrice ; Elena Servettaz, journaliste ; Maria Sorokina, chercheuse en histoire médiévale, membre du Mouvement russe antiguerre ; Ekaterina Zhuravskaya, directrice d’études, EHESS.


Le matin du 24 février, notre monde s’est effondré. Depuis, nous, Russes établis en France, vivons au rythme des atrocités et exactions commises en notre nom par l’armée russe en Ukraine. Notre colère est sans limites, autant que notre désarroi. Cette tragédie du peuple ukrainien auquel nous avons toujours été attachés par des liens si intimes et forts touche chacun d’entre nous. Endosser le rôle d’ennemi est pour nous inconcevable. Nous sommes prêts à assumer la responsabilité historique que portera désormais la Russie. Toutefois, nous refusons de nous reclure dans une culpabilité paralysante. Nous avons le devoir d’agir et c’est en tant que citoyens de la Fédération de Russie vivant en France que nous nous engageons contre la guerre en Ukraine.

Beaucoup d’entre nous sont nés après la chute du Mur, quand l’espoir de la liberté résonnait fort en Russie. Malheureusement, notre pays n’a pas tenu l’épreuve de la démocratie. L’arrivée au pouvoir de Poutine a marqué le retour d’une idéologie impérialiste et nationaliste reposant sur l’instrumentalisation et le détournement de l’histoire de notre pays, notamment celle de la seconde guerre mondiale. Ce discours, qui a remplacé petit à petit tout débat public en Russie, n’a jamais été le nôtre. Cependant, nous sommes tous en partie responsables de la longévité du régime de Poutine et nous nous opposons fermement à son extension, qui met en péril l’avenir démocratique des nations voisines.

Dictature agonisante

La Russie vit, en ce moment, une vague de répression inédite. Depuis le début de la guerre, les derniers médias dissidents ont été interdits et supprimés par le pouvoir. Le gouvernement instaure une censure totale, bloque l’accès à Facebook, à Twitter et à toutes les sources d’information alternatives. Toute personne diffusant des informations divergentes de la version officielle est passible de poursuites pénales, allant jusqu’à quinze ans de prison. L’existence d’une guerre est niée, l’emploi même du mot « guerre » est interdit. Les ONG, les défenseurs des droits humains, les opposants politiques subissent des perquisitions et arrestations préventives. Même les formes les plus inoffensives de protestation contre la guerre sont considérées comme des actes extrémistes, tandis que toute forme d’aide à l’Ukraine est qualifiée de haute trahison. En voyant notre pays plonger dans la terreur, nous demandons à la communauté internationale de ne pas abandonner la société civile russe, désarmée et isolée, face aux horreurs d’une dictature agonisante.

Les appétits de cette dictature ne se limitent pas à la Russie : aujourd’hui, le régime poutinien menace l’Europe entière. De longue date il y poursuit, jusqu’à l’assassinat, ses ennemis politiques, œuvre à la déstabilisation des démocraties occidentales, parraine des mouvements d’extrême droite et conduit une guerre de l’information. Le capital russe recrute des anciens chefs de gouvernement européens pour gagner du poids sur la scène économique et politique internationale. Des oligarques de poche, des agents d’influence et des établissements à vocation prétendument culturelle promeuvent ouvertement les intérêts du Kremlin. En ce temps de guerre, certains d’entre eux, tel le Centre spirituel et culturel orthodoxe russe à Paris, véhiculent les discours haineux de la propagande poutinienne visant à déshumaniser le peuple ukrainien et à justifier la guerre par des arguments aussi fallacieux qu’absurdes. Nous ne pouvons pas tolérer qu’une telle position soit diffusée au nom de la culture russe. Nous exigeons la fermeture définitive de ces antennes du régime poutinien qui ne représentent aucunement la Russie.

Nous appelons tous les Russes vivant en France, en Europe et dans le monde entier à se rassembler dans un mouvement citoyen, qui aura pour but la cessation immédiate de la guerre en Ukraine, la destitution du président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, et la reconstruction démocratique de notre pays. Nous exigeons également l’ouverture d’un procès à la Cour internationale de justice contre tous les responsables des crimes de guerre commis en Ukraine. Nous exprimons notre solidarité totale avec tous ceux qui se battent en ce moment contre l’invasion de l’Ukraine. La manie impérialiste de Poutine est inguérissable. Il est grand temps d’y mettre fin.

Liste des signataires :

Aglaé Achechova, bibliothécaire

Ksenia Akhmadulina, développeuse editique chez AXA, Paris

Boris Akounine, écrivain

Alexandra Aleynikova, artiste

Olga Amiryan, ancienne fonctionnaire de l’Etat

Milena Arsich, agrégée de lettres modernes

Valeria Atiusheva, entrepreneur

Mariia Baranova, écologiste

Tatiana Baranova, maître de conférences en histoire

Anna Baydova, docteur en histoire de l’art

Rouslana Brakha, secrétaire médicale

Dara Bobrova, enseignante de yoga

Alexandre Bolshedvorov, théologien orthodoxe

Konstantin Brenner, mathématicien, maître de conférences, Université Côte d’Azur

Thaïssia Colosimo, étudiante

Daria Cherepantseva, secrétaire médicale

Polina de Mauny, doctorante, Sorbonne Nouvelle

Fedor Diakonov, designer, artiste

Ekaterina Drozdova, réalisatrice

Stéphane Gaessler, doctorant

Sofiya Glukhova, historienne de l’art, association des amis Marc Chagall

Dmitry Goncharov, motion designer

Angelina Gorgan, ingénieur à la retraite, IFPEN

Katerina Gorinskaia, ingénieure développement logiciel

Irina Gromova, ingénieur informatique

Katja Gvozdeva, historienne de la littérature

Iuliia Gulina, styliste

Sergei Guriev, professeur en économie, Sciences Po

Liza Gusalova, réalisatrice

Barbara Essaïan, restauratrice-conservatrice de peinture de chevalet

Elisabeth Essaïan, maitre de conférences à l’ENSAPB, chercheuse à l’IPRAUS-AUSSER

Anastasia Evstegneeva, enseignante

Dimitri Filimonov, docteur en études slaves, enseignant-chercheur, Université Lyon 3

Émeric Fisset, éditeur

Christine Fisset, fonctionnaire

Nicolaï Iarochenko, producteur de cinéma

Alexandre Isaev, ingénieur logiciel

Tatiana Joukova, archiviste, bibliothécaire (BULAC)

Hélène Henry-Safier, maître de conférences honoraire en littérature russe, Université Paris-Sorbonne

Janna Hermant, professeur de russe

Anna Kadieva, directrice de l’école Le Sallay Academy

Ekaterina Kadieva, psychologue

Ekaterina Kalugina, maître de conférences en économie, Université d’Evry Val d’Essonne

Sergueï Kanski, guide-interprète-conférencier

Barbara Karsky, enseignante retraitée

Marie Nadia Karsky, enseignante

Michel Karsky, compositeur

Maria Kassian-Bonnet, graphiste

Tatiana Kastouéva-Jean, Directrice du Centre Russie/NEI, Ifri

Anna Khalonina, doctorante et enseignante en linguistique, Université Paris-Cité

Katia Khazak, productrice, Aurora films

Irina Khokhlova, étudiante en médiation culturelle, Université Paris Nanterre

Polina Kiseleva, interprète

Natalia Kisseleva-Toulet, psychologue

Nikolai Kitanine, professeur, Université de Bourgogne

Nicolai Kobliakov, président de Russie-Libertés

Oleg Kobtzeff, historien, théologien

Alexandra Kokoreva, enseignante de russe et de piano

Olga Kosenko, salarié du secteur divertissement

Emilia Koustova, historienne, Université de Strasbourg

Alexandre Kozlov, actuaireOlga Kravets, photographe et réalisatrice

Leonid Kreydlin, Ingénieur d’études et développement chez PartenorGroup

Anna Kuznecova, iconographe

Sergey Kuznetsov, écrivain

Denis Lakine, doctorant en lettres russes, Inalco

Anna Leyloyan-Yekmalyan, maître de conférence​s à l’INALCO

Tilda Lovi, artiste plasticienne et traductrice

Eugénie Magnien, traductriceDaria Malyuta, doctorante en sociologie, Université de Paris

Kamila Mamadnazarbekova, doctorante PRITEPS, Sorbonne Université

Polina Manko, chercheuse en arts

Ludmila Marchesin, bibliothécaire

Lana Martysheva, historienne, membre de l’Ecole française de Rome

Boris Melnichenko, doctorant, CNRS/EHESS

Anna Mikhailova, styliste de mode

Yuliya Mineeva, doctorante en histoire, Lettres, Sorbonne Université

Anastasia Mosyagina, historienne

Nadezhda Nazareva, doctorante, Sorbonne Université

Alexandre Ourjoumtsev, Professeur des Universités

Alexei Ourjoumtsev, physicien

Ludmila Ourjoumtseva, ingénieure

Macha Pangilinan, artiste plasticienne

Natalia Pashkeeva, chercheuse post-doctorat, CNRS IRIS

Daria Petushkova, doctorante, INALCO

Daria Pevear, enseignante de yoga

Ekaterina Pichugina Coumel, traductrice indépendante, diplômée de l’ESIT

Kirill Pissarev, commissaire d’exposition

Nadia Podzemskaia, chercheur CNRS en histoire de l’art

Nina Podzemskaia, traductrice, retraitée

Natalia Prokofieva, étudiante en arts plastiques, Université Paris 8

Tania Rakhmanova, réalisatrice

Yana Roman, contrôleuse financière

Alisa Rusakova, print designer

Slava Rychkov, physicien

Anna Samokhvalova, cadre de l’industrie automobile

Tatiana Senkevitch, historienne de l’art, Paris Institute for Critical Thinking

Avraam Seredinski, professeur, retraité

Véra Seredinski, professeur de lycée, retraitée

Elena Servettaz, journaliste

Raman Sheshka, docteur, Ecole Polytechnique

Alexander Shamalov, entrepreneur

Pavel Shishkanov, étudiant en neuropsychologie

Daria Sinichkina, maître de conférences en littérature russe, Sorbonne Université

Maria Sorokina, post-doctorante, LabEx Hastec

Victor Sorokine, journaliste à la Pensée Russe, retraité

Anna Surovegina, interprète de conférence

Marie Tatischeff, enseignante en école élémentaire

Sophie Tatischeff, chef de projet MOA

Olga Tirard, professeur de russe

Maria Troitskaia, architecte, pâtissière

Aleksei Tourkine, cadre de banque

Lilya Tourkina-Colosimo, secrétaire de l’Institut de Théologie Orthodoxe Saint-Serge

Luba Vassilieva, photographe et chargée de contenu

Giovanni Vinciguerra, étudiant

Maria Volkova, enseignante de russe

Sofya Volkova, étudiante

Larissa Volokhonsky, traductrice

Anna Voskoboynikova, chercheuse, LVMT – Ecole des Ponts ParisTech

Valentin Vydrin, professeur de mandingue, INALCO

Ekaterina Zhuravskaya, directrice d’etudes, EHESS

Aleksei Ziiangirov, ingénieur logiciel, musicien

Mouvement russe anti-guerre

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