Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, la déportation forcée d’enfants ukrainiens vers la Russie est devenue une réalité documentée et condamnée par la communauté internationale. Selon les dernières estimations, entre 19 546 enfants officiellement identifiés par Kiev et jusqu’à 300 000 selon certaines ONG, ont été déplacés, souvent dans le cadre d’un système organisé de russification et d’adoption. Face à cette crise humanitaire, les ONG russes et internationales ont développé trois approches principales : la recherche sur le terrain, l’enquête sur les réseaux de déportation, et le plaidoyer juridique auprès de la Cour pénale internationale (CPI).

1. La recherche sur le terrain : retrouver les enfants et documenter les crimes

Des journalistes et militants russes, souvent au péril de leur liberté, mènent un travail minutieux de documentation et d’identification des enfants déportés. Dès les premiers mois de la guerre d’invasion, le média indépendant russe Verstka a mené la première enquête sur le sujet dirigée par Anna Ryzhkova. Ses révélations ont joué un rôle pionnier en mettant en lumière l’existence de hubs de déportation dans les régions de Lougansk et Donetsk, ainsi que dans des villes russes comme Taganrog et Koursk. Grâce à des dizaines d’enquêtes, de recoupements de photos d’orphelinats, de bases de données ukrainiennes et russes (comme Усыновите.ру), et de témoignages, Verstka a pu identifier 285 enfants ukrainiens non adoptés mais placés dans des institutions russes, et partager ces informations avec les autorités ukrainiennes et la CPI. Une autre initiative de militants russes s’intitulant Kidmapping a permis d’identifier 260 centres où ont été placés près de 3000 enfants ukrainiens. Une carte interactive permet de visualiser la géographie de ce réseau : KIDMAPPING

Ces enquêtes ont aussi mis en lumière les méthodes de russification : changement de nom, de date de naissance, endoctrinement idéologique dès l’âge de 3 ans, et formation militaire (sources : 1, 2, 3).

Cependant, ce travail est extrêmement risqué : en Russie, transmettre des informations à des ONG ukrainiennes ou au gouvernement ukrainien est considéré comme de la « haute trahison », passible de 25 ans de prison. Des cas comme celui de Nadine Gueissler, condamnée à 22 ans de prison pour avoir aidé des Ukrainiens, illustrent la répression qui pèse sur les militants.

La tâche est d’autant plus complexe que les enfants grandissent et que leur situation évolue rapidement. Les autorités russes aggravent cette difficulté en modifiant systématiquement leur nom, leur date et leur lieu de naissance, effaçant ainsi toute trace de leur identité ukrainienne.

2. L’enquête sur les organisateurs : démanteler les réseaux de déportation

Les ONG et associations, comme « Pour l’Ukraine, leur liberté et la nôtre ! » en collaboration avec Russie-Libertés, ont étendu leurs investigations pour identifier les responsables des déportations. Leurs rapports ont permis d’établir que Maria Lvova-Belova, commissaire russe aux droits de l’enfant, est une figure centrale de ce système. Sous son égide, des milliers d’enfants ont été transférés vers des camps de « rééducation » ou adoptés par des familles russes, avec pour objectif avoué de les « russifier » et de les couper de leur identité ukrainienne. La CPI a d’ailleurs émis des mandats d’arrêt contre Lvova-Belova et Vladimir Poutine en mars 2023 pour « déportation illégale de population » et « transfert illégal d’enfants ».

En septembre 2024, une seconde communication a été adressée à la CPI pour étendre les poursuites aux organisateurs locaux et aux politiques russes du parti Russie Unie impliqués dans ces crimes. Les ONG demandent aussi l’ouverture d’une enquête pour « génocide », arguant que ces déportations visent à détruire l’identité nationale ukrainienne sur plusieurs générations.

3. Le plaidoyer juridique : saisir la justice internationale

La Coalition internationale pour le rapatriement des enfants ukrainiens, lancée en février 2024, coordonne les efforts pour partager des informations entre Kiev, les États partenaires et les mécanismes judiciaires internationaux. Les preuves recueillies (photos, témoignages, bases de données) sont transmises à la CPI, qui a déjà émis des mandats d’arrêt et continue d’enquêter sur ces crimes de guerre. Les ONG ukrainiennes, comme Save Ukraine ou Bring Kids Back UA, utilisent aussi des outils technologiques (reconnaissance faciale, intelligence artificielle) pour retrouver les enfants et faciliter leur rapatriement. Une campagne internationale initiée par Mémorial et le Centre des Libertés Civiles (deux ONGs russes et ukrainiennes) a également été lancé pour exiger la libération de tous les otages de la guerre (prisonniers de guerre, otages civiles, prisonniers politiques russes et enfants ukrainiens) : People First !

Malgré ces efforts, le retour des enfants reste exceptionnel : seulement 388 ont été rapatriés à ce jour, souvent grâce à des négociations discrètes. La Russie, quant à elle, continue de nier les déportations forcées et de présenter ces transferts comme des « sauvetages humanitaires ».

La déportation des enfants ukrainiens est un crime de guerre systématique, documenté par des ONG russes et internationales malgré les risques encourus. Leur travail de recherche, d’enquête et de plaidoyer est essentiel pour faire pression sur le Kremlin, soutenir les familles ukrainiennes et obtenir justice devant la CPI. Cependant, l’ampleur du phénomène et la résistance du régime poutinien rendent la tâche immense, et la communauté internationale est appelée à renforcer son soutien aux initiatives de rapatriement et de protection des victimes.

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