Le 4 juillet 2020, 206 amendements sont venus modifier la Constitution de la Fédération de Russie, notamment les dispositions des chapitres 3 à 8 de la Constitution de la Fédération de Russie, qui portent sur la structure fédérale, le Président, l’Assemblée fédérale, le Gouvernement, le pouvoir judiciaire et le parquet général, ainsi que le gouvernement local.
Ces changements ont été introduits par la loi de la Fédération de Russie « sur les amendements à la Constitution de la Fédération de Russie » du 14 mars 2020 n° 1-FKZ, qui couvre un champ très vaste de questions (définition de la notion de mariage, établissement d’un nouvel organisme d’État – le Conseil d’État, clarification des pouvoirs de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, et bien plus encore).
Par conséquent, cette loi a été rédigée en violation des dispositions du paragraphe 2 de l’art. 2 de la loi fédérale du 4 mars 1998 N 33-FZ « Sur la procédure d’adoption et d’entrée en vigueur des amendements à la Constitution de la Fédération de Russie », selon laquelle « une loi de la Fédération de Russie portant amendement à la Constitution de la Fédération de Russie couvre les modifications connexes du texte constitutionnel ».
De nombreux experts estiment que le but premier de ces changements était de légitimer la poursuite de l’exercice de la fonction de Président de la Fédération de Russie par Vladimir Poutine après la fin de son deuxième mandat présidentiel consécutif.
En effet, l’article 81 de la Constitution de la Fédération de Russie, jusqu’alors en vigueur, venait limiter l’exercice de la fonction de Président de la Fédération de Russie à deux mandats consécutifs. En outre, la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie avait indiqué, dans sa décision n° 134-O du 5 novembre 1998, que deux mandats consécutifs constituent une limite constitutionnelle.
Par ailleurs, le paragraphe 4 de l’article 3 de la Constitution de la Fédération de Russie dispose que « Personne ne peut s’attribuer le pouvoir en Fédération de Russie » et que « la prise du pouvoir ou l’usurpation de prérogatives du pouvoir sont poursuivies selon la loi fédérale ». À cet égard, un mécanisme complexe de « réinitialisation des mandats présidentiels » a été mis en place :
1. La loi n° 1-FKZ du 14 mars 2020 « sur les amendements à la Constitution de la Fédération de Russie » prévoit le maintien dans la Constitution de la Fédération de Russie d’une limite constitutionnelle de deux mandats présidentiels, tout en prévoyant simultanément des dispositions transitoires permettant de ne pas prendre compte les mandants exercés précédemment à son adoption.
2. Afin de légitimer davantage cette loi, la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie a rendu un avis sur la conformité des amendements apportés à la Constitution de la Fédération de Russie, et un vote national a été organisé sur l’adoption de cette loi. Ainsi, l’avis de la Cour constitutionnelle du 16 mars 2020 n° 1-3 confirmé la conformité de la loi du 14 mars 2020 à la Constitution de la Fédération de Russie, indiquant que les amendements visaient prétendument à « renforcer les garanties du remplacement périodique des Président ». Il est à noter que la Cour constitutionnelle n’a pas précisé qu’il s’agissait de Vladimir Poutine, qui, au moment de l’avis, était au pouvoir depuis 18 ans. En outre, la Cour constitutionnelle a conclu qu’une telle « annulation » constituait une garantie de la mise en œuvre des caractéristiques constitutionnelles et juridiques de l’État en tant que forme de gouvernement démocratique, juridique et républicaine, qui s’accompagne d’autres garanties institutionnelles. Ces garanties doivent inclure, avant toute chose, un parlementarisme développé, un véritable multipartisme, la présence d’une concurrence politique, un modèle efficace de séparation des pouvoirs, doté d’un système de freins et contrepoids, ainsi que la garantie des droits et libertés par une justice indépendante, y compris les activités de la Cour constitutionnelle. Or, il est évident que les garanties institutionnelles énumérées ne fonctionnent pas en Russie. La Cour constitutionnelle a également indiqué que le vote panrusse conférait à ces amendements une légitimité constitutionnelle supplémentaire. Notons que, dans cette partie, la Cour constitutionnelle n’a donné aucune appréciation sur l’absence d’une forme de « vote panrusse » établie par la loi. Dans le même temps, la Cour constitutionnelle n’a pas manqué de mentionner que l’interdiction de l’appropriation du pouvoir ne s’opposait pas à l’élection répétée et consécutive d’une personne, tant que celle-ci se déroulait sur la base du suffrage universel direct à bulletin secret.
Suite à cette décision de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, s’est tenu le soi-disant « vote panrusse ». En effet, selon l’article 3, partie 3, de la Constitution de la Fédération de Russie, la plus haute expression directe du pouvoir du peuple est le référendum et les élections libres. La législation actuelle ne prévoit pas d’autres formes de vote panrusse. Malgré cela, le « vote panrusse » s’est déroulé en dehors du cadre de la loi constitutionnelle fédérale n° 5-FKZ « Sur le référendum de la Fédération de Russie », pour les motifs suivants :
- il n’y avait aucune raison d’organiser un référendum ;
- les campagnes et leur financement n’étaient pas réglementés, et la transparence du financement des campagnes n’était pas assurée ;
- le scrutin n’a pu faire l’objet d’une observation internationale neutre, tous les observateurs étant strictement nommés par la Chambre publique de la Fédération de Russie ;
- il a été fait recours au vote anticipé, normalement prohibé en Russie pour les élections fédérales (sauf dans les zones reculées et difficiles d’accès), et le vote électronique, qui avait été testé à une seule reprise par le passé, et donc sans garanties sur son bon fonctionnement;
- il n’y avait pas de réglementation spécifique permettant d’interjeter appel en cas de violations alléguées de la procédure de vote
- les résultats du vote ont fait l’objet des doutes parmi les experts, les hommes politiques et les médias.
En conclusion, les amendements à la Constitution de la Fédération de Russie introduits par la loi de la Fédération de Russie du 14 mars 2020 n° 1-FKZ sont inconstitutionnels :
- La loi n° 1-FKZ du 14 mars 2020 « sur les amendements à la Constitution de la Fédération de Russie » contient 206 amendements à la Constitution de la Fédération de Russie, qui ne sont pas liés entre eux, ce qui constitue une violation – une loi portant amendement de la Constitution de la Fédération de Russie ne pouvant couvrir que des dispositions connexes de la Constitution ;
- La « remise à zéro » du mandat présidentiel ne peut être considérée comme légitime alors que la Constitution garantit l’existence d’un régime démocratique, légale et républicain. Or, de telles garanties institutionnelles ne s’appliquent pas en Russie : absence de démocratie, de véritable système multipartite, d’élections équitables, de compétition politique ; manque de système de séparation des pouvoirs, d’indépendance des juges, etc.;
- Les amendements apportés à la Constitution de la Fédération de Russie visent à prendre le pouvoir et à en usurper les prérogatives, puisque leur objectif principal est de permettre à Vladimir Poutine d’exercer de nouveaux mandats à la tête de la Russie durant 12 années supplémentaires, après pourtant 20 ans d’exercice du pouvoir ;
- Le « vote panrusse » organisé en faveur des amendements à la Constitution de la Fédération de Russie est une forme illégale d’expression de la volonté du peuple et ne peut être pris en compte en raison de nombreuses violations dans l’organisation et le déroulement de ce vote.
En outre, il convient de noter que le mécanisme de modification de l’article 81 de la Constitution de la Fédération de Russie permet à l’avenir d’apporter des modifications aux dispositions de cet article de manière à modifier à nouveau l’approche de calcul de la limite constitutionnelle.
Olga Chlesser, Russie-Libertés