Depuis l’annexion illégale de la Crimée par la Russie en 2014, l’Europe, et plus largement la communauté internationale, mettent en place des mesures consistant à sanctionner la Russie pour son agression contre l’Ukraine, un pays indépendant. Ces mesures se sont particulièrement intensifiées depuis le 24 février 2022, lors de l’invasion massive de l’Ukraine par les troupes armées russes.
Ainsi, depuis février 2022, l’UE a interdit des exportations de biens vers la Russie représentant une valeur de plus de 43,9 milliards d’euros et des importations de biens russes représentant une valeur de 91,2 milliards d’euros. Ces sanctions économiques de grande ampleur freinent considérablement l’effort de guerre russe et obligent le Kremlin à chercher de nouvelles sources de financement, d’approvisionnement de son armée et de son industrie de guerre. Elles sont efficaces pour mettre la pression sur le régime de Vladimir Poutine et ses proches.
Cependant, lorsque fin juin 2023 l’Union Européenne vote un 11ème train de sanctions à l’encontre de la Russie, elle admet que “leur contournement reste substantiel et systémique”.
De plus, alors que des restrictions d’entrée vers certains pays européens s’imposent aux citoyens russes, des personnes proches du Kremlin et complices de la guerre en Ukraine continuent à s’y déplacer, posséder librement des biens immobiliers et autres actifs sans être inquiétées.
Afin d’accroître l’efficacité des mesures prises à l’encontre du régime poutinien suite à l’invasion massive de l’Ukraine, il est aujourd’hui essentiel de renforcer le contrôle sur les sanctions économiques d’une part, et d’adopter une démarche cohérente sur les sanctions individuelles d’autre part.
Il revient à chaque Etat membre de l’UE de veiller à la bonne application de ces mesures et de sanctionner les sociétés qui les contournent, ainsi que leurs dirigeants.
Depuis le début des sanctions et de l’embargo appliqué à la Russie en 2014, le gouvernement russe met en place une stratégie visant à réduire considérablement sa dépendance vis-à-vis des pays européens et des États-Unis, en misant sur le renforcement de son industrie et en diversifiant ses relations.
Néanmoins, la dépendance au commerce avec les pays européens reste d’actualité. En effet, les débris des armements russes sur le territoire ukrainien, ont révélé que les armes russes sont encore constituées de composants fabriqués récemment, notamment par plusieurs entreprises françaises. Le rapport publié par le groupe de travail Yermak-Mcfaul met en lumière les entreprises qui ne respectent pas l’embargo et les intermédiaires par lesquels elles passent. D’autres enquêteurs notent la présence de composants fabriqués par STMicroelectronics, Thales, Souriau, Safran ou encore Lynred dans douze références d’armes russes utilisées en Ukraine: drones, missiles, avions de chasse, caméras de surveillance, des moteurs d’hélicoptères, des désignations de cibles pour les avions de chasse. De plus, certains produits comme des jumelles Safran ou encore des drones Elistair étaient encore en vente sur des sites russes début 2023. Au vu de l’importance du nombre de composants et de leur caractère indispensable pour la fabrication de fournitures militaires, nous pouvons supposer que sans l’approvisionnement d’entreprises françaises, l’armée russe n’aurait pas la même facilité à combattre et à commettre des crimes de guerre en Ukraine.
Les entreprises se justifient en expliquant qu’il s’agit, pour la plupart des composants, de livraisons de fin de contrats, certains se terminaient alors en 2019. Ce qui explique alors la continuité de ces exportations vers la Russie même après le début de l’embargo en 2014. Néanmoins, plusieurs transferts ont continué en 2022 : grâce à des failles administratives notamment, certains types de commerce n’étaient pas sanctionnés, tel celui des des industries civiles. Par exemple, le moteur Ardiden 3G de Turbomeca, une filiale de Safran, équipe l’hélicoptère civil de transport Ka-62. Mais comme la société Safran l’admet elle-même, ce moteur est compatible avec une « application militaire ». Certaines pièces de moteur d’avion ou d’électronique, ont pu ainsi être exportées et utilisées à des fins militaires en raison d’une faille juridique dans les mesures restrictives de février 2022. En outre, le projet de loi visant à encadrer et plus précisément à poursuivre en justice les individus et les entreprises qui fournissent des équipements à des pays sous embargo est depuis 10 ans en attente au Parlement. Aujourd’hui, sauf quelques exceptions, il n’y a pas de réelle volonté de sanctionner les auteurs du détournement de ces règles.
Afin d’échapper à cet embargo, le gouvernement russe passe par Pékin pour s’approvisionner en toutes sortes d’équipements militaires. Certaines entreprises françaises peuvent alors exporter en Chine sans avoir l’obligation de connaître la destination ou le client final de leurs marchandises. Par exemple, 60% des composants produits par Lynred sont à destination de Pékin. Selon la présidence ukrainienne, la Russie va doubler sa production de missiles grâce notamment à des puces électroniques occidentales. Pour faire face à cette situation, une mesure nommée « know your customer » (KYC), est supposée éveiller la conscience des entreprises.
De plus, comme l’ont proposé de nombreux représentants des forces démocratiques russes lors du Dialogue de Bruxelles qui s’est tenu début juin au Parlement européen, l’Union Européenne devrait publier une liste des entreprises qui ne respectent pas cet embargo. Par ailleurs, selon eux, devraient être ajoutés à cette liste, les noms de ceux qui transmettent leurs actifs européens à leur famille afin d’échapper aux sanctions.
La question des sanctions individuelles est également largement soulevée par le Fonds Anti-Corruption d’Alexeï Navalny qui met en évidence la libre circulation dans l’Union Européenne de personnalités proches du Krémlin telle que la femme du ministre adjoint à la défense russe.
Ainsi, une application plus cohérente de la politique des sanctions individuelles est nécessaire et nous alertons sur les nombreuses possibilités de contournement qui bénéficient finalement aux personnalités les plus proches du Kremlin, alors que des activistes russes qui dénoncent la guerre rencontrent des difficultés considérables pour venir et se réfugier en Europe.
Il est essentiel que le devoir de vigilance des entreprises françaises et européennes soit renforcé quant au contrôle de leurs clients finaux, des intermédiaires financiers ainsi qu’à l’égard des flux des exportations. C’est à la seule condition d’une application stricte de ces règles que l’affaiblissement de l’armée russe sera possible et accélérera la fin de la guerre menée par le régime de Poutine en Ukraine.